Extraits

Sébastien Parotte, chanteur lyrique et contrebassiste (Portrait)

Depuis sa plus tendre enfance, la musique est sa langue, sa thérapie, son univers tout entier. Chanteur lyrique et contrebassiste, Sébastien Parotte a étudié sous les ailes de José Van Dam, Mya Besselink et Massimo Giorgi. Au cours des quinze dernières années, il a interprété de nombreux rôles sur les plus prestigieuses scènes d’Europe. Chacune de ses prestations reflète sa générosité et son ambition profonde : faire rayonner l’opéra et la musique classique à travers toutes les couches de la société.

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Sébastien Parotte naît à Verviers le 23 février 1984. Ses premières années sont marquées par une timidité extrême et des difficultés de langage, mais il trouve dans le chant une manière de s’exprimer qui se révèle thérapeutique. Sa mère, violoncelliste, remarque alors sa voix de soprano. Il travaille avec elle, au piano, mais aussi avec son grand-père paternel, chef d’une chorale. C’est lui qui place Sébastien devant son premier public, un soir de décembre, à l’église de Soiron. Du haut de ses 6 ans, le garçon bouleverse toute l’assemblée. Il quitte la scène en pleurs, envahi d’une émotion qui vit toujours au fond de ses entrailles trente ans plus tard.

Alors que Sébastien multiplie les concerts avec les Petits Chanteurs de Liège, il découvre le théâtre dans le cadre d’un projet scolaire, et demande à sa mère de lui trouver un cours. Elle l’inscrit à la Maîtrise de l’Opéra Royal de Wallonie-Liège, où ses talents pour la scène s’épanouissent dans la joie du jeu et de l’interprétation. C’est là aussi que Sébastien décide de son destin, lorsqu’il voit José Van Dam faire une entrée tonitruante dans le rôle de Scarpia. Le petit pâtre est subjugué. Dès cet instant, Sébastien n’aura plus qu’un but : chanter à l’opéra, et un jour, incarner à son tour ce personnage sombre et torturé de la Tosca.

Son éducation vocale se poursuit avec les Choeurs d’enfants de la Monnaie. Sous la direction de grands chefs d’orchestre, il chante La Flûte enchantée et Pelléas et Mélisande, avant de connaître, à l’adolescence, une période d’incertitude chevillée aux transformations de sa voix. De soprano, il passe à baryton, une nouvelle tessiture qu’il apprivoise avec Mya Besselink. Le travail qu’il réalise avec elle lui ouvre les portes du Conservatoire de Maastricht. Il a 17 ans. La même année, il entame un master en contrebasse au Conservatoire de Liège et au Conservatoire Sainte-Cécile de Rome, où il se rend trois fois par mois. Avec son maître, Massimo Giorgi, il joue sur des instruments de collection, de véritables œuvres d’art, et trouve un bonheur inégalable dans cette capitale au charme singulier. En même temps, il doit travailler pour payer ses études. Il obtient un poste à l’Opéra Zuid, comme chanteur, et un autre comme contrebassiste remplaçant, à l’Orchestre et à l’Opéra de Liège, ce qui ne l’empêchera pas de décrocher ses diplômes haut la main.

Après ses études et une expérience d’un an à l’Opéra Studio de Strasbourg, Sébastien participe une première fois au concours Reine Elisabeth. Sa participation s’arrête aux portes de la finale, mais il se fait remarquer par José Van Dam. Sur l’invitation du célèbre baryton, il entre à la Chapelle Musicale où il complète sa formation sous le signe de l’excellence artistique. En 2011, Sébastien participe une deuxième fois au concours Reine Elisabeth et défend ses couleurs jusqu’en finale. La même année, il est lauréat de l’International Vocal Competition ’s- Hertogenbosch. Pendant quatre ans, il travaille en Allemagne, au Staatheather de Nuremberg. L’expérience lui inculque autant de maîtrise que de flexibilité, car le métier exige de pouvoir jouer Mozart un jour, répéter Verdi le lendemain matin et interpréter Platée le soir même.

Sébastien voyage un peu partout en Europe et découvre, dans chaque endroit, une nouvelle vision de l’art et de la culture, une diversité qui le fascine. Il continue sans cesse de se former et travaille quotidiennement autant le chant que la contrebasse. L’amour est son unique motivation. L’amour de la musique, du public, du travail, mais aussi l’amour de sa famille et de tous ceux qui l’entourent depuis ses débuts. Comme Don Quichotte voit dans la moindre auberge un château enchanté, Sébastien voit des étoiles dans toutes les salles, petits théâtres ou grandes maisons. Partout où il passe, il aime se promener dans les coulisses, discuter avec les techniciens, les électriciens, les menuisiers, tous ces métiers qui font les rouages de l’opéra.

Entier sur scène comme à la ville, il chante toujours avec la même générosité, qu’il se produise devant le couple royal, des enfants trisomiques ou des détenus dans une prison. Dans tous les cas, l’émotion trouve son chemin, guidée par la voix sombre de ce chanteur au grand cœur.

Une histoire d’adoption (Extrait d’un récit long)

Prologue

Mardi 3 décembre 2019. Il y a trente-sept ans, on nous annonçait l’existence de Marie et son arrivée prochaine dans notre famille. Quel magnifique cadeau de Saint-Nicolas ! Tout d’un coup, à l’autre bout du monde, il y avait un enfant qui bientôt serait nôtre. Un enfant que nous allions prendre dans nos bras, serrer sur notre cœur, qui porterait notre nom. Je serais à nouveau maman. J’ai le souvenir d’une joie profonde, intense, secrète à l’annonce de cette petite fille de deux ans qui nous était destinée.

Dans trois jours, Marie aura 39 ans. J’en ai 72. Depuis longtemps, je nourris le rêve de transmettre à nos enfants l’histoire de leur arrivée dans notre famille. Mais quand je me mets à table pour écrire, c’est comme si je n’avais rien à dire. Les souvenirs, si ténus, s’évaporent. Je parviens à écrire quelques pages. C’est fastidieux.

Les jours, les semaines et puis les mois passent. Il me vient alors l’idée de confier l’écriture à quelqu’un dont c’est le métier. C’est à Mélanie que je décide de raconter une partie de notre histoire. Pour étayer ma mémoire, je parcours des documents administratifs, je relis des notes, j’ouvre d’anciens albums. Je voyage dans le temps et je revis plusieurs moments avec une émotion intense. Je trouve beaucoup de bonheur à me plonger dans les souvenirs et à recueillir le sel de cette expérience.

Mes enfants,

J’espère que vous trouverez, dans ce livre qui vous est dédié, l’expression de l’amour et de la joie que nous avons eus à grandir avec vous.

(…)

Marie arrive chez nous le 28 janvier 1983. Il fait beau et très froid. Nous allons la chercher à Zaventem avec ma maman, qui est sa marraine. C’est là que l’avion en provenance de Haïti va atterrir. Les parents adoptants sont réunis dans une grande salle où les couples sont appelés tour à tour. « Monsieur et Madame […], voici votre petite fille, Marie-Lydie. » Je la vois comme si c’était hier. Elle est mignonne comme tout. Elle est coiffée avec des tresses qui épousent la forme de son crâne et qui se terminent par des élastiques et des petites boules de couleur. Elle porte une petite robe blanche et bleue au-dessus d’un t-shirt, un gilet marine blanc et bleu, des chaussettes blanches, des chaussures bleues. Elle est jolie à croquer. Mais c’est aussi une petite fille apeurée, presque terrorisée. On le voit dans ses yeux et je le sens à son corps crispé quand je la prends dans mes bras. Pour Antony, c’était très différent. On l’avait accueilli alors qu’il avait quatorze mois. C’était encore un bébé. A deux ans, Marie a davantage conscience de ce qui se passe. Elle nous regarde avec des grands yeux interrogateurs. Elle doit se demander ce qui lui arrive. « Où est-ce que je vais ? Qui sont ces visages autour de moi ? » On ne sait rien de son histoire, ni de la manière dont elle a été préparée à notre rencontre.

Sur le chemin du retour, je tiens Marie dans mes bras, à l’arrière de la voiture. Je lui murmure des mots doux. Nous faisons une halte à Champlon, chez les parents de mon époux. Bonne-maman donne une poupée qu’elle a tricotée. Marie la laisse sur le côté. Tout son visage dit la peur devant l’étrange et l’inconnu. Mon mari se souvient d’un léger sourire après une heure, mais il a fallu beaucoup de temps avant que Marie ne dise un mot. Devant son mutisme, nous ne savons comment exprimer notre joie. Nous sommes si heureux de l’accueillir ! En la voyant, ses frères l’ont acclamée. On remarque qu’elle se détend un peu quand elle est entourée d’autres enfants, sans la présence d’adultes. Comment savoir ce qui se passe dans la tête de ce petit bout ? Nous n’avons reçu pour ainsi dire aucun conseil, aucune information, en dehors de quelques recommandations alimentaires. C’est la débrouille.

Le soir, la mise au lit est très difficile. Marie pleure beaucoup, il faut des heures pour qu’elle s’endorme. La première nuit, je n’ai pas réussi à lui mettre un pyjama. Impossible ! Elle ne voulait pas quitter les habits avec lesquels elle était venue. Ils avaient son odeur, ils venaient d’un univers qu’elle connaissait, c’était sûrement rassurant pour elle. Alors, je lui ai mis des vêtements propres par au-dessus. Après une semaine de soirées compliquées, j’en ai parlé à une connaissance qui m’a suggéré de la rassurer en lui expliquant que tout ce qu’on avait vécu ensemble, ce jour-là, on pourrait le revivre le lendemain. La nuit n’allait pas tout effacer. Les gens, les choses n’allaient pas disparaître d’un jour à l’autre. Progressivement, Marie s’est apaisée, la mise au lit s’est faite dans le calme et la douceur et j’ai retrouvé le temps de préparer mes cours en soirée.

A cette époque-là, il n’y avait pas de congé pour les mamans adoptives. Ça n’existait pas encore. Mais ma direction m’avait accordé trois semaines de congés. Le matin, on allait conduire les garçons à l’école et puis on passait la journée ensemble. Marie aurait aimé rester à l’école. L’univers des enfants, c’est quelque chose qu’elle connaissait et qui l’attirait, mais je voulais profiter de ces moments pour qu’on s’apprivoise l’une l’autre. Un après-midi, je me suis installée à table pour travailler à mes cours. Je lui ai donné un papier, un crayon, et elle s’est mise a dessiner. Toute petite, elle aimait déjà dessiner.

Des actes de résistance longtemps restés dans l’ombre (Extrait d’un récit court)

Quand la guerre éclate, en mai 1940, Joseph a treize ans. C’est une voisine qui s’occupe de lui, de ses frères et de sa sœur, alors que leurs parents sont partis à Herve pour l’une ou l’autre affaire. Pris de panique, les gens du village se mettent sur les routes. Certains évacuent vers le sud de la France. « Tout le monde pensait à ce qui s’était passé en 14-18 », dit Joseph, « les Allemands avaient été méchants. On avait peur. » Quand les parents de Joseph regagnent enfin Zelem, deux jours plus tard, ils décident d’aller se réfugier au couvent du village avec leurs enfants. Et puis, à la surprise générale, un Allemand gradé, un « Feldwebel », débarque dans la commune et « rien ne se passe », ni tueries, ni fusillades.

(…)

En 1943, sous l’autorité allemande, des juifs autrichiens sont placés dans les maisons les plus spacieuses de la commune. La famille L. héberge quatre personnes, dont Monsieur G. et son épouse. « Monsieur G. donnait un coup de main à papa dans le jardin », se rappelle Joseph. Et puis une dame d’une soixantaine d’années et sa fille, diplômée de médecine en Angleterre, avec qui les enfants se lient d’amitié. Avec elle, Joseph et son frère aîné apprennent l’anglais et l’allemand. C’est ainsi que Joseph, déjà bilingue, devient quadrilingue. A la fin de la guerre, leurs quatre hôtes juifs seront emmenés dans un train Allemand. « On n’a plus jamais eu de nouvelles, dit Joseph, on ne sait pas ce qui leur est arrivé. »

Entre-temps, Joseph fait la connaissance d’Émile. Les parents d’Émile l’ont confié à des cousins éloignés qui tiennent une épicerie à Zelem. « C’est là que commence la période dangereuse pour moi », annonce Joseph. Les deux garçons s’engagent, à l’insu de leur famille, dans l’armée secrète, un des principaux groupes de résistance face à l’occupant allemand. Pendant des semaines, Émile et Joseph arrachent, dans les champs, des betteraves, des carottes, des navets et des pommes de terre qu’ils apportent à des fugitifs russes cachés dans les bois de Zelem. Un jour, les deux garçons récupèrent la toile d’un parachute et s’organisent avec la résistance pour en faire des vestes qui seront distribuées à d’autres fugitifs. Une nuit, ils récupèrent des sacs de laine réquisitionnés par les Allemands. Joseph en échange une partie contre un revolver dont il n’aura, heureusement, jamais à se servir.

Quand la guerre se termine, en 44, Joseph a dix-sept ans. Un jour, il se rend à Herve, chez sa tante Marie, la sœur de sa maman, et y rencontre un officier américain. Comme Joseph entreprend de traduire la conversation, l’officier remarque ses compétences linguistiques et lui propose de devenir interprète pour l’armée des États-Unis. Avec l’uniforme américain, Joseph devient « Jo ». Il le restera pour toujours.

Une fois la guerre finie, le gouvernement s’est attelé à reconnaître officiellement les civils ayant participé aux mouvements de résistance. A ce moment-là, Joseph est en Allemagne pour le travail. Il rentera trop tard pour envoyer les papiers, mais aujourd’hui, 75 ans après cet épisode sanglant de l’histoire, Joseph a toujours sa carte de l’armée blanche.